L'essentiel

Face à un adolescent présentant des symptômes dépressifs ou suicidaires, le but du médecin généraliste n’est pas de faire disparaitre instantanément ces symptômes mais d’entamer un cheminement permettant progressivement un retour à la normale. Ce processus demandera du temps. Pour cela, il dispose de nombreuses cartes. Il convient dans un premier temps de créer du lien en s’engageant dans une relation personnalisée avec un suivi affiché (ne pas hésiter à convoquer l’adolescent à un nouveau rendez-vous). Si le médecin dispose de peu de temps en consultation, il a pour lui la durée. Sa présence stable est un atout pour une série de consultations permettant un cheminement de l’adolescent. Des outils relationnels sont utilisables pour ces consultations particulières. L’utilisation de psychotropes peut rendre des services, mais son usage doit se limiter à des cas précis dans cette classe d’âge. Enfin, le médecin généraliste ne devra pas hésiter à s’ouvrir à ses confrères afin d’optimiser la prise en charge de l’adolescent au sein d’un réseau.

En savoir plus

S’engager

Donner son point de vue

Donner son point de vue sur la situation puis le confronter à celui de l’adolescent en sachant reformuler* mettre des mots sur ses difficultés, va permettre à l’adolescent de se mettre à distance et d’agir une erreur d'interprétation chez un adolescent qui va bien ne porte pas à conséquence. même si le mal-être est nié et même si un suivi ne se concrétise pas, le patient aura repéré un interlocuteur potentiel. Cette démarche est déjà structurante et pose un jalon relationnel comme le montre l'observation suivante:

* Teddy consulte car depuis 15 j il a le nez bouché, des éternuements et les yeux qui pleurent, bref les symptômes d’une éventuelle rhinite allergique…Un interrogatoire « méthode ADOC » ne décèle rien d'objectivable, néanmoins son médecin généraliste ne manque pas de lui faire part de son souci eu égard à ses yeux rouges qui pourraient évoquer une consommation délétère, de cannabis par exemple …Mais il nie, pour lui tout va bien.

Quelques jours plus tard, l’amie de la mère de Teddy, une des patientes du médecin, le rappelle pour lui demander s'il connait quelqu’un qui pourrait s’occuper de Teddy, car il ne va pas bien , il vient d'ailleurs d’annoncer à sa mère qu’il était consommateur de cannabis et même d'héroine. Il a dit à sa mère d'avoir a été impressionné que son médecin généraliste soit la première personne à lui avoir posé la question de ses consommations…le médecin donne alors un rendez-vous pour le jeune à son cabinet et la prise en charge pu se développer

La question du médecin, malgré la réponse négative, a déclenché un processus d'éveil

Ouvrir la discussion au-delà du motif de consultation

En l’absence de demande particulière de la part de l’adolescent, le médecin prendra l’initiative d’aborder les questions psychosociales comme celles du BITS TEST car les adolescents ne solliciteront pas le médecin sur ces problèmes. Ces questions peuvent réveiller des interrogations et valider un interlocuteur.

Toute demande spécifique venant de l’adolescent est à considérer avec importance car la démarche est rare et surmonte une résistance interne notable.

S’engager dans la durée

Le médecin montrera son engagement en fixant un rendez-vous pour le revoir, même sans demande de la part de l'adolescent.

    Il s'agit de montrer une détermination même si le médecin n'a pas de certitude sur la gravité ou l'intensité du malaise. La nécessité est de transmettre une volonté d'échanger dans un cadre réservé.
  • si cette démarche est inhabituelle dans l’exercice et craint un forçage intrusif, l'expérience montre que cette proposition est quasiment toujours acceptée sans problème.
  • Cela transmet une sollicitude qui est remarquée par l'ado;
  • Cela transmet l’intérêt que porte le médecin à l’adolescent, sa reconnaissance;
  • Cela sort de la règle de la réponse immédiate et introduit le temps dans la relation.
  • Cela évite d'allonger le temps de consultation.

Gagner du temps grâce à des outils relationnels

Si le médecin n'a pas le temps, il a cependant la durée
    Point n'est besoin d'aborder tout dans l'instant, l'important est de poser des jalons qui présentent quelque intérêt pour l'adolescent
  • il n'est pas nécessaire d'avoir une stratégie d'exploration psychique complète profonde ou pertinente
  • Passer du temps en favorisant l'expression par divers modes d'entretien peut maintenir un lien suffisant pour passer un cap difficile retardant ou surtout évitant un passage à l'acte
  • Cela aménage un lieu d'expression dans un cadre de proximité "sécure" et indépendant.
  • La mobilisation des ressources personnelles et environnementales de l’adolescent peut permettre un premier étayage.
    Pour être à l'aise il faut que l'adolescent puisse s'exprimer sur des sujets où il se sent fort :
  • une évaluation de la part des difficultés extérieures que l’adolescent subit, permet d’agir sur une cause possible, additionnelle de ses difficultés;
  • cette attitude introduit à la découverte d'une piste et d'une posture possible à poursuivre chez un psychologue ou un psychiatre
Dans une suite de plusieurs consultations, le médecin généraliste pourra utiliser divers outils d'aide à la relation. Ils serviront à renforcer le lien entre l'ado et le médecin.

Prescrire

La prescription de psychotropes chez l’adolescent est limitée et suit des règles strictes. Dans un accord d’experts en 2014, l’HAS précise que les traitements psychotropes ne se substituent pas à la psychothérapie, ne doivent jamais être prescrits isolément, et sont seulement indiqués dans un nombre réduit de cas.
    Les antidépresseurs :
  • ne doivent pas être prescrits lors de la première consultation identifiant une problématique dépressive.
  • ne doivent être utilisés que dans les épisodes dépressifs caractérisés (selon le DSM-5 ou la CIM-10), et uniquement en cas de résistance ou d’aggravation après 4 à 8 semaines de psychothérapie ou dans l’objectif de permettre la réalisation du travail psychothérapeutique.
  • seule la FLUOXETINE est recommandée dans l’épisode dépressif caractérisé de l’adolescent dans le cadre des soins de premier recours.
  • une surveillance étroite est recommandée
  • la durée totale recommandée du traitement doit être comprise ente 6 et 12 mois.
Les anxiolytiques et hypnotiques :

Ne doivent pas être prescrits en première intention dans les insomnies, l’anxiété ou les comorbidités anxieuses associées chez un adolescent présentant un état dépressif caractérisé.

Les Risques
    A l'adolescence le risque de la prescription est plus une complication relationnelle ou psychologique qu'organique. Les risques sont :
  • éluder l'abord du problème psychique personnel ou relationnel ou familial
  • accentuer une "dépendance-à" entraînant un "accrochage" aux 2 sens: adhésion ou rejet
  • mise en évidence de son impuissance interne
  • entraîner un sentiment d'incompréhension
  • interférer négativement avec les processus biologiques de l'adolescence
Les impératifs

Evoquer la nécessité du médicament et en discuter avant de prescrire. Pas de prescription lors de la 1° consultation pour problème psy;

Si prescription nécessaire, le faire aux doses thérapeutiques en avertissant que les effets négatifs précèdent les effets positifs;

La prescription s'intègre toujours dans une relation psycho-thérapeutique;

Bien aborder la question de l'observance et de l'arrêt du traitement.

Ne pas rester seul

Le médecin généraliste est seul dans son cabinet, mais il dispose d’un réseau externe permettant de soutenir ou prendre le relais de la prise en charge la plus adaptée. Ne pas hésiter en cas de difficultés à déléguer ou orienter, tout en faisant lien avec les interlocuteurs afin de maintenir le lien avec l’adolescent. Ne pas hésiter de demander au spécialiste un courrier compte-rendu qui reste encore trop rarement réalisé.

Références :

Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, direction de la santé publique. L’examen médical préventif chez les adolescents. Intervenir selon leur profil de risques. Prévention en pratique médicale, février 2005 : 6 p.

  Binder P. Comment aborder l’adolescent en médecine générale ? La Revue du Praticien, médecine générale, 2005 ; tome 55, n° 10 : p. 1073.

Entre Nous : comment initier et mettre en œuvre une démarche d’éducation pour la santé avec un adolescent, INPES 2009.

Haute Autorité de Santé. Recommandations de bonne pratique. Manifestations dépressives à l’adolescence. Repérage, diagnostic et stratégie des soins de premier recours. Paris: HAS; nov 2014.

ALVIN-MARCELLI médecine de l'adolescence. Coll pour le praticien édition MASSON 2000.p275 à 278