L'essentiel

Le développement cérébral est progressif depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte et permet en partie d’éclairer les comportements de l’adolescent. Il est possible de modéliser schématiquement son évolution selon 3 phases successives : le cerveau reptilien où domine le besoin, ensuite le cerveau mammifère mené par le désir, et enfin le cerveau sapiens pouvant faire des projets. Des dysharmonies de développement entre ces « 3 cerveaux » soit d’origine génétique, développementale ou environnementale entrainent des troubles des émotions et des comportements. Néanmoins, elles ne sont pas définitives et peuvent être limitées et transformées par des interventions extérieures notamment venant du médecin généraliste.

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Les transformations à l’adolescence

Bien moins connues que les bouleversements hormonaux dus à la maturation rapide de l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique, les transformations qui ont lieu au niveau cérébral lors de l’adolescence peuvent expliquer de façon notable les modifications comportementales. En effet, le cerveau se construit selon un processus de maturation lent, fonctionnel et anatomique, débutant au 4ème mois de grossesse et allant jusqu’à l’âge de 25 ans environ. Très schématiquement, le développement cérébral suit un processus d’emboîtement successif de trois cerveaux où le plus récent amplifie le précédent et tente de le réguler. Ce modèle grossier rend compte plus du fonctionnel que de l’anatomique beaucoup plus complexe. Entre 6 et 12 ans survient une surproduction de synapses à l’origine d’une multiplication de connexions, plus précoce chez les filles que chez les garçons. A l’adolescence : le cerveau se spécialise par un processus de « recâblage ». L’ado se « replie » sur ce qui fonctionne et le développe un maximum. Ce processus est programmé génétiquement et largement déterminé par la variation des taux d’hormones sexuelles mais il est puissamment modifié par les échanges avec l’environnement qui modulent l'expression des gènes de façon plus ou moins durable selon les mécanismes épigénétiques. Pendant cette période, le circuit « de la récompense » joue un rôle majeur par ses connexions entre les 3 cerveaux.

Les « trois cerveaux »

Le cerveau « reptilien »
    (tronc cérébral et cervelet)
  • mature dès la naissance
  • reçoit des informations sensorielles brutes
  • les informations y sont traitées de façon automatique
  • est sous une influence essentiellement génétique
  • son moteur est le besoin
  • Fonction: permet la survie animale (manger, dormir, se reproduire, agresser, fuir)
  • le « tempérament ».
Le cerveau « mammifère »
    (essentiellement limbique et une partie des aires associatives) :
  • mature vers l’âge de 7 ans
  • les informations y sont traitées de façon analogique
  • est contrôlé par l’éducation et la culture : donc dominé par le conditionnement et l’émotion
  • détermine la peur, la colère le plaisir
  • son moteur est le désir, qui maitrise progressivement les besoins reptiliens.
  • Fonction: enrichit l’adaptation à l’environnement.
  • Le « caractère ».
Le cerveau «sapiens » cognitif
    (aire préfrontale et sus orbitaire) :
  • émerge vers l’âge de 7 ans et mature lentement jusqu’à 25 ans
  • les informations y sont traitées de façon logique par des choix conscients
  • attribue une valeur aux informations du cerveau « mammifère »
  • son moteur est le projet : organise le désir et relativise le besoin.
  • Fonction: instance du choix et de la planification.
  • La personnalité

Origine des modifications de comportement

Les différences d’âge de maturité des 3 cerveaux entraînent un décalage de gestion entre sensation, émotion et réflexion ; un décalage entre besoin, désir et projet est particulièrement manifeste à l'adolescence et varie selon le sexe. L’harmonie de cette croissance peut être entravée par de multiples défaillances comme la génétique, la migration neuronale et le câblage synaptique, l’alimentation, le sommeil, la stimulation sensorielle, le mode d’attachement précoce, les stress, la cohérence éducative, l’existence d’un champ culturel et imaginaire, l’établissement des liens et du sens, la prise de psychotropes licites ou non. Mais ces carences ne sont pas définitives et peuvent être compensées par d’autres développements positifs assurant un niveau de résilience plus ou moins efficace au premier rang desquelles figure l’influence des expériences et des rencontres, mais surtout du sens qui leur est donné. C’est dans ce cadre que se situent les possibilités de soutien du médecin généraliste.

Trois métaphores pour comprendre :

« St Georges et son équipage »

La maturation cérébrale

Les interactions des trois cerveaux seraient une sorte de figure de St Georges de la légende dorée : l’équipage d’un cavalier tentant de maitriser sa monture aux prises avec un dragon. Les besoins primaires du dragon, reptilien impulsif aux réactions automatiques, sont contenues par la fougue et le désir d’un cheval, mammifère dressé et grégaire, lui-même canalisé par les choix et le projet du cavalier, humain lucide, singulier, réflexif et projectif. A l’adolescence les écarts de maturation entre le « cheval » et le « cavalier » et leurs interactions avec l’environnement déterminent de nombreuses variations de comportements y compris dans le même milieu.

L’influence de l’environnement

Les réactions du cheval (cerveau mammifère) ont été façonnées par son dressage initial parental puis par l’ambiance de la manade de ses pairs et de l’école. Elles contiennent les pulsions reptiliennes mais seulement jusqu’à des seuils critiques souvent dépassés.

Les choix comportementaux

La prise de drogues psycho actives assouplit puis supprime les transmissions des rênes et des éperons. Le cheval et le dragon jouissent puis prennent le mors et le cavalier perd la main puis les étriers jusqu’à la chute. Si la boulimie était un équipage emporté par les besoins primaires du dragon, l’anorexie serait un cavalier ayant réduit et paralysé tant la monture émotionnelle que le dragon.

La métamorphose du crustacé

La maturation cérébrale

Les étapes diachroniques de la mutation psychique ont été symbolisées par Francoise Dolto dans le complexe du homard. Tel un homard faisant sa mue, l’ado s’extrait des protections de l’enfance devenant alors vulnérable avant de se construire une nouvelle carapace plus personnelle et à sa taille. Je prolonge et approfondis cette image en envisageant l’adolescent plutôt comme un crustacé devenant vertébré pour illustrer l’émergence progressive du préfrontal. Dans cette métamorphose, le crustacé infantile perd son exosquelette protecteur mais limitant pour « se vertébraliser » en interne et se dresser adulte. Les rigidités externes protectrices mais pesantes se transforment en noyaux internes de plus en plus solides mais souples parce qu’articulées en cohérences internes et permettant la verticalisation.

L’influence de l’environnement

La carapace du crustacé est de consistance très variable et se retire parfois trop précocement. La chair sensible est alors exposée à une période de grande vulnérabilité dont profitent nombre de prédateur (y compris économiques) avant que les vertèbres de la réflexion, de l’expérience et l’autonomie dessine une personnalité.

Les choix comportementaux

En l’absence de carapace limitante, la chair du crustacé s’enfle en tous sens pour tester les limites. Elle est sensible mais vulnérable et méconnaissable. Les comportements, qu’ils soient originaux ou à risques sont de nombreux déguisements à usage externe pour paraitre quand l’intérieur ne tient pas.

La dialectique du parebrise et des rétroviseurs

La maturation cérébrale Les contraintes synchroniques entravant l’autonomisation peuvent être évoquées par l’accession à la conduite automobile. Au volant de son véhicule plus ou moins performant ou cabossé, façonné par les autres dans l’enfance, l’adolescent appréhende le monde à travers le pare-brise et tente de choisir sa route. Sa vigilance est envahie par les bruits du moteur, symptômes de son fonctionnement interne, les rétroviseurs renvoyant des images de son entourage et du passé, et les écrans de contrôle rappelant les normes imposées.

L’influence de l’environnement De nombreuses interférences perturbent la conduite de son véhicule. La multiplication des rétroviseurs et des écrans de contrôle rétrécit le champ de vision. Les injonctions ou crises conjugales parentales sont des appels de phare qui flashent dans les rétroviseurs.

Les choix comportementaux Dans sa conduite indécise l’adolescent est partagé entre le repli rassurant dans un blindé à petit pare-brise et l’exposition risquée dans une décapotable à pare-brise panoramique. Dans les turbulences, il oscille entre la multiplication subie ou choisie des rétroviseurs ou des écrans pour la réassurance et leur suppression impulsive et clastique pour s’en libérer.

Références :

Arain M, Haque M, Johal L, Mathur P, Nel W, Rais A, Sandhu R, Sharma S. Maturation of the adolescent brain. Neuropsychiatr Dis Treat. 2013 ;9 :449-61

Mac Lean P.D.Les trois cerveaux de l'homme Robert Laffont 1990. 367p

Ernst M, Pine DS, Hardin M. Triadic model of the neurobiology of motivated behavior in adolescence. Psychol Med. 2006 Mar ;36(3) :299-312.

Cyrulnik, un merveilleux Malheur Odile Jacob 2002

Dolto F, Dolto C, Percheminier C, Paroles pour adolescents ou Le complexe du homard. 2007

Binder P. Intervenir sur les addictions en médecine générale .1°partie – Une perte du contrôle du désir envahi par le besoin : l’addiction est une maladie du cerveau. Exercer 2017 ;129 :24-31.

Binder P. L’approche des adolescents en médecine générale -Exercer à paraitre 2017.