L'essentiel

Les adolescents consultent peu, mais presque tous ont rencontré leur médecin généraliste dans l’année. Leur motif de consultation est généralement d’ordre somatique, néanmoins ils sont nombreux à avoir des soucis d’ordre affectif ou social pour lesquels un certain nombre n’ont pas ou peu de soutien. Certains souhaiteraient que leur médecin généraliste aborde ces questions mais ils n’osent pas faire le premier pas. La communication entre le médecin et l’adolescent ne va pas de soi, mais porter de l’intérêt au mal-être vécu par le jeune a un impact positif sur sa santé.

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La consultation de l’adolescent

80% des adolescents ont consulté leur médecin généraliste dans l’année précédente ; Les filles consultent en moyenne plus que les garçons ; Dans 90% des cas, les jeunes ont le même médecin que leurs parents et 2/3 des consultations se font à la demande des parents ; Dans 80% des cas, au moins un parent assiste à la consultation.

Un décalage entre le motif de consultation et la vraie demande

    Le motif de consultation est essentiellement somatique. Par ordre de fréquence, on retrouve comme principaux motifs :
  • Les infections des voies aériennes supérieures ;
  • Les raisons administratives et sociales ;
  • Les plaintes d’ordre général ostéo-articulaires ou digestives.
Cependant, plus de 80% des adolescents déclarent avoir déjà rencontré un des 8 problèmes « psycho-sociaux-affectifs » suivants : trouble du sommeil, trouble psychosomatique, trouble affectif, trouble alimentaire, trouble du comportement, problème scolaire, trouble des consommations, idée de mort. Malgré tout, ces problèmes restent peut abordés en consultation, le sujet le plus fréquemment évoqué restant les affections somatiques ; les adolescents parlent peu de leur conduite à risque à leur médecin et quasiment pas de leurs problèmes relationnels.
Affections somatiques évoqués dans.. Affections somatiques évoqués dans..
Conduites à risques évoqués dans.. Conduites à risques évoqués dans..
Problèmes relationnels évoqués dans.. Problèmes relationnels évoqués dans..

Nature des difficultés évoquées par les adolescents des deux sexes en fonction de leur interlocuteur (Chiffres issus de Tudrej BV, Heintz AL, Ingrand P, Gicquel L, Binder P)

Les thèmes considérés comme non-abordés en consultation par les adolescents sont en premier lieu la sexualité, et en second lieu les difficultés morales et sentimentales.

Une rencontre manquée

Le motif lié directement au mal-être est rare (6% des consultations) alors que le médecin pense que celui-ci est fréquemment abordé. Lorsque le mal-être affleure, la consultation se déroule le plus souvent dans un évitement relationnel. Le jeune a senti un médecin qui pourrait être réceptif, le généraliste s'aperçoit confusément que quelque chose ne va pas mais, pour de multiples raisons la rencontre ne se fait pas. Dans le groupe « à risque » (déprimé ou suicidaire) les adolescents attendent davantage que les autres de leur médecin traitant. Ils sont 2 fois plus nombreux que les autres à trouver leur médecin traitant pas assez curieux à leur égard et trop silencieux. 23% des jeunes « à risque » ont l’impression que leur médecin ne répond pas exactement à leur question, contre 3% chez les autres jeunes.

Les fonctionnements des médecins généralistes à l’origine de réticences

Selon Roberts et al (2014), il est possible, parmi les médecins, de différencier trois groupes de pratiques vis-à-vis des adolescents :
  1. Les "réparateurs" : leur objectif est de résoudre un seul problème, celui du motif de consultation. Ils voient les besoins en santé des jeunes comme simples. Ils sont influencés par :
    • Leur performance dans la rencontre clinique : ils présentent un détachement professionnel dépourvu d’anxiété, se concentrent sur des problèmes médicaux purs et réduisent la discussion en excluant la part psychologique.
    • Leur représentation sur les jeunes et leurs besoins en santé : ils décrivent des difficultés de communication venant des jeunes, un manque de fiabilité dans leurs engagements et des prises de décisions allant à l'encontre de leur propre santé. Ils ne sont pas gênés par cela, mais ne peuvent modifier la relation.
    • Leur représentation de l'approche médicale : ils utilisent des connaissances théoriques qu'ils considèrent comme universelles, généralisables objectives et au-dessus de tous.
  2. Les "planificateurs" : ils perçoivent les difficultés comme la conséquence de souffrances psychologiques et ont une vision plus large que le problème initial. Ils cherchent à favoriser l’autonomie des jeunes vis-à-vis de leur santé. Ils prennent en charge d’abord les priorités du patient puis les tâches "centrées médecin". Ils sont influencés par 3 facteurs :
    • Leur performance dans la rencontre clinique : ils abordent la consultation en considérant trois intervenants : l'adolescent, le médecin et le tiers, ce qui permet de réduire leur anxiété et de donner l’opportunité aux jeunes de parler de leurs problèmes.
    • Leur représentation sur les jeunes et leurs besoins en santé : ils sont conscients des enjeux chez les adolescents et cette sensibilité s'accompagne de compassion. Une de leur problématique est de sensibiliser les jeunes à leur autonomie à se prendre en charge.
    • Leur représentation de l'approche médicale : ils prennent en compte l'environnement et le mode de vie des patients et les incorporent à la prise en charge afin qu’elle reste pertinente.
  3. Les "collaborateurs" : ils voient la consultation comme l'occasion de construire ensemble l'histoire du patient avec du sens dans un contexte de respect mutuel et de relation de confiance. Ils souhaitent rendre les jeunes plus aptes à interagir avec leur environnement. Ils sont influencés par trois facteurs :
    • Leur performance dans la rencontre clinique : ils sont anxieux en consultation et utilisent l'émotion comme déclencheur d'une réflexion sur soi et de l’examen de la situation à partir de la perspective du jeune.
    • Leur représentation sur les jeunes et leurs besoins en santé : ils ne voient pas les jeunes comme une population à part, mais comme un groupe exigeant une réponse adaptée à leur âge et à leur culture. Ils reconnaissent qu'il n'est pas faisable d'attendre des ados qu’ils exposent leurs vulnérabilités facilement.
    • Leur représentation de l'approche médicale : ils voient l'interaction avec le médecin comme thérapeutique en soi et regardent vers l’avenir en ayant pour but de rendre le jeune plus autonome.

Un adolescent consultant plus ou moins frustré

Les jeunes attendent de la consultation un avis éclairé sur la normalité ou au contraire l’anormalité de leur comportement et/ou de leur ressenti.Ils sont demandeurs d’informations de la part de leur médecin traitant mais ils préfèrent que le médecin ait l'initiative. Il incombe donc aux médecins traitants, par le biais du suivi médical, de donner aux jeunes les critères les aidant à évaluer leur santé. Selon les enquêtes et selon leur type de questionnaire le niveau de frustration est différent : Selon Jacobson, 87% des adolescents se disent satisfaits après la consultation et 82% trouvent qu’il est facile de parler de ses problèmes avec son médecin. Les 13% de jeunes non satisfaits le sont principalement en raison d’un manque d’information, d’un manque d’attention et d’une situation embarrassante. Par contre Marly observe un sentiment de frustration en fin de consultation, les jeunes déclarent n’avoir pas dit tout ce qu’ils souhaitaient dans 30% des cas, et même 45% dans le groupe à risque (conduites de consommations excessives ou idées suicidaires). Il existe un décalage important des représentations : 91% des médecins disent informer spontanément les jeunes alors que seulement 77% des adolescents déclarent avoir été informés. Les chiffres sont encore plus parlants lorsqu’on aborde la notion de secret médical : 95% des médecins interrogés disent avoir informé le jeune de l’existence du secret alors que seulement 29% des jeunes déclarent avoir reçu cette information. On note même que 10% pensent que le médecin a le droit de divulguer la teneur de la consultation.

Un généraliste qui sous-estime l’amélioration de l’ado pendant la consultation

L'ado qui consulte un généraliste se sent mieux en fin de consultation. Les ados non accompagnés sont plus en mal-être mais bénéficient plus de la consultation.Le généraliste sous-estime leur bien-être et leur sentiment de pouvoir se confier ou se sentir compris. Par ailleurs le tiers n’entrave pas le plus souvent l’expression de l’adolescent

Références :

- Lacotte-Marly E, Les jeunes et leur médecin traitant : pour une meilleure prise en charge des conduites à risque. Paris V. 2014.

- Boulestreau-Grasset H, Le point de vue des adolescents sur leur relation avec le médecin. Nantes. 2009.s

- Pagot E, Regards des adolescents sur la notion de confidentialité médicale. Nantes. 2010.

- Entre Nous : comment initier et mettre en œuvre une démarche d’éducation pour la santé avec un adolescent, INPES 2009.

- Tudrej BV, Heintz AL, Ingrand P, Gicquel L, Binder P. What do troubled adolescents expect from their GPs? Eur J Gen Pract. 2016 Dec;22(4):247-254.

- Roberts J, Crosland A, Fulton J. GPs' responses to adolescents presenting with psychological difficulties: a conceptual model of fixers, future planners, and collaborators. Br J Gen Pract. 2014 May ;64(622): 254-61.