L'essentiel

Bien qu’exceptionnel en médecine générale, le suicide reste un « risque critique évitable ». Contrairement aux idées reçues, les idées suicidaires ne sont pas normales à l’adolescence et en parler permet de désamorcer le processus plutôt que de l’encourager. Le médecin généraliste peut intervenir dans la crise suicidaire et soutenir car, d’une part, il suffit souvent de passer un cap, et d’autre part, s’il n’a pas le temps, il a la durée.

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"Le suicide est une circonstance exceptionnelle"

Il est vrai que le suicide mortel à l'adolescence est rare. D'ailleurs l'incidence du suicide, tous âges confondus, est extrêmement faible en médecine générale : moins d'un cas par an en moyenne soit 1 sur 5000 actes. Le généraliste a recours au dispositif spécialisé pour un adolescent pas plus de 3 fois par an. Enfin, si un motif plus ou moins « psy » d'adolescent se présente spontanément à peine toutes les 3 semaines, un mal-être en cours ou récent serait dépistable presque chaque semaine . Car le médecin généraliste voit environ un adolescent par jour.

"Les idées suicidaires (IS) sont normales à l’adolescence"

Idées suicidaires 1 ado sur 3 seulement est concerné
Avoir des idées suicidaires à l'adolescence n'est pas la norme, 1 ado sur 3 seulement est concerné. Il ne faut pas confondre avoir des idées à propos de la mort et la volonté de se tuer.
Avoir des idées suicidaires est toujours une souffrance qui témoigne soit d’une fragilité identitaire ou relationnelle, soit d’une incapacité à supporter la frustration, la séparation ou les variations de tensions psychiques internes. (Réf : ALVIN P, MARCELLI D. Médecine de l’Adolescent Masson p116).
Fréquence des ivresses selon l'usage de tabac et de cannabis chez les jeunes de 3ème et de seconde Fréquence des ivresses selon l'usage de tabac et de cannabis chez les jeunes de 3ème et de seconde
Fréquence des tentatives de suicide selon les consommations Fréquence des tentatives de suicide selon les consommations
Le mal-être durable perturbe les acquisitions majeures qui construisent la personnalité de l'adolescent tant sur le plan relationnel qu'intellectuel.Ses liens avec la prise de drogues diverses est manifeste, et renforcent le décrochage d'une adaptation à son environnement et la préparation à des choix adultes.

"En parler incite à passer à l’acte"

Non, en parler ne provoque pas de passage à l’acte. Les cliniciens s'en doutaient depuis longtemps. Une étude l'a montré: recherche conduite sur 2 342 adolescents de 13 à 19 ans dans six écoles de la banlieue de New York (nord-est). Un premier groupe expérimental de 1 172 élèves a été soumis à un questionnaire d'évaluation de leur santé mentale contenant 20 questions directes sur le suicide tandis qu’un autre groupe de 1 170 jeunes avait le même questionnaire sans les questions sur le suicide. Dans les deux groupes, la proportion de ceux ayant manifesté un degré élevé de détresse émotionnelle était similaire, avec notamment 4% ayant indiqué avoir eu des pensées suicidaires. Parmi les adolescents ayant déjà tenté de se suicider, il y a eu sensiblement moins de pensées suicidaires dans le premier groupe que dans le second à qui a été soumis le questionnaire sans question directe sur le suicide."

Madelyn S. Gould; Frank A. Marrocco; Marjorie Kleinman; John Graham Thomas; Katherine Mostkoff; Jean Cote; Mark Davies Evaluating Iatrogenic Risk of Youth Suicide Screening Programs: A Randomized Controlled Trial JAMA. 2005; 293:1635-1643.

On peut penser que ce préjugé est plutôt issu de l’inquiétude du médecin qui anticipe la difficulté de réponse si l’ado exprime des idées suicidaires.

"C'est du ressort du psy."

La plupart du temps, l’essentiel est d’accompagner pour passer un cap. Le caractère psychiatrique des crises réside plus dans le cumul, la précocité, la durée, la répétitivité que dans l’intensité de la crise. Les antécédents suicidaires peuvent être anciens et les problèmes qui leur étaient liés, résolus, l’adolescent en parlera alors facilement, il est alors aisé au praticien de positiver le parcours. L’adolescent peut aussi évoquer le suicide plus ou moins dramatiquement et mettre mal à l’aise le médecin sur cette question où il se sent impuissant. Mais il y a rarement urgence lors d’un dépistage. Un rendez-vous ultérieur proposé peut donner le temps de la réflexion, tant pour le médecin que pour l’adolescent, et préparera un suivi ambulatoire, voire un éventuel accompagnement conjoint par un service spécialisé.

"S'adresser au psy est une galère"

Cette réflexion n’est pas vraiment une idée reçue. Le médecin généraliste est souvent isolé. Ses liens de collaboration avec ses collègues psychiatres ou les réseaux environnant le patient ne sont pas toujours établis. 
    Les difficultés relationnelles entre généralistes et psychiatres, proviennent principalement :
  • Des problèmes de démographie médicale;
  • Du changement fréquent de consultants dans les hôpitaux;
  • Du manque de communication du psychiatre vers le généraliste, expliqués par les psychiatres comme la nécessite de maintenir une neutralité de la part du praticien, mais vécue comme nuisible à la prise en charge du patient par les médecins généralistes;
  • De l’image de « maladie mentale » renvoyée au patient lors de l’évocation de la consultation d’un psychiatre;
Afin de répondre aux recommandations qui demandent au médecin généraliste d’adresser son patient à un spécialiste, le médecin va devoir convaincre à la fois le psychiatre et le patient.On note que : Les urgences psychiatriques et générales sont principalement utilisées pour les urgences immédiates Les établissements privés sont utilisés pour les urgences différées Les psychiatres de ville et les CMP sont peu sollicitables dans les cas d’urgence.

"On n'a pas le temps…"

Le généraliste a peu de temps mais il a pour lui la durée. Point n'est besoin de tout régler en une séance. Reconvoquer le patient lors d'une ou plusieurs consultations est tout à fait réalisable même si cela est peu usité dans le mode d'exercice actuel. Une succession d’entretiens relativement brefs étaye mieux pour avancer que de longs mais rares entretiens.

"Il n'est pas dépressif…"

Seuls 20 à 30% des suicidants présentent une pathologie psychiatrique sous-jacente (dépression, troubles de la personnalité, …) favorisant le passage à l’acte. Cela signifie donc que beaucoup ne manifestent aucun symptôme dépressif. « Chez l’adolescent, l’acte suicidaire entrecroise deux lignées psychopathologiques : la lignée dépressive et la lignée impulsive. Ainsi, certains adolescents peuvent faire des tentatives de suicide (TS) « impulsives » sans pathologie dépressive notable et d’autres des TS « dépressives » sans problématique impulsive majeure. Pr Daniel Marcelli

"Et quand bien même…"

Pourrait-on identifier des situations à risques ?

Des éléments de la vie ordinaire peuvent témoigner d'une situation difficile.

S'il suffisait de poser la question suicidaire, l’ado y répondrait-il ?

Plus facilement qu'on ne le pense l'adolescent apprécie le plus souvent qu'on s'intéresse à lui et une question sur des antécédents d'idée suicidaire est le plus souvent trouvée normale dans le cadre d'une consultation de médecine générale.

Et comment faire en consultation courante ?

Des outils validés existent il suffit de les essayer : Le BITS-TEST

Il faut cependant aller un peu plus loin

En effet il a été montré qu’une formation courte, si elle sait mettre en alerte les médecins généralistes à propos du mal-être des adolescents, n’influence pas vraiment l’amélioration du ressenti de l’adolescent venant en consultation. En effet, il faut d’avantage qu’une simple sensibilisation pour faire changer les choses.

Références :

Colas CE, Charles R, Meyrand B. La crise suicidaire en médecine générale Une revue de morbidité et de mortalité en groupe d'analyse de pratiques. Médecine. 2010;6(2):78-83.

Aubin-Auger I, Mercier A, Baumann-Coblentz L, Zerr P. La consultation du patient à risque suicidaire en médecine générale. Généralistes et psychiatres : une relation compliquée. Médecine. 2008;4(6):279-83.

Le Concours Médical. tome 136 | n° 1 | janvier 2014. Dépression de l'adolescent. PARCOURS DE SOINS.

Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé. (1998). Prise en charge hospitalière des adolescents après une tentative de suicide. Recommandations Professionnelles.